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Laure Gayet. Et par rapport au contexte en France ?
Wrestler. Le climat est vraiment anxiogène aujourd’hui et le Krump constitue une porte de sortie. Que ce soit de la joie, la colère, la tristesse, ces émotions peuvent-être exprimées dans un environnement « safe », où chacun est écouté. C’est une danse non violente. Elle paraît agressive pourtant c’est la même énergie que des sports de combat mais sans renchérissement.
Laure Gayet. Est-ce que cette pratique te paraît liée au territoire des banlieues ?
Wrestler. C’est évidement né de là. Lors des événements autour de la mort de Georges Floyd en 2020, un des créateurs du Krump qui s’appelle Mijo a dansé devant une barrière de policiers. L’image a beaucoup tourné à ce moment-là. C’était une forme symbolique de contestation. Le Krump, c’est la danse des laissé-pour-compte qui ont réussi à se faire une place comme un guerrier ou un roi qui récupère son trône.
Laure Gayet. Pourrais-tu nous expliquer comment s’organisent le Krump et sa transmission?
Wrestler. La culture du Krump fonctionne par système de « Fam » (famille) autour du Big homie puis des Lil Homies, Junior, Lid, Twins : ce sont des grades comme des ainés ou des cadets, qui s’acquièrent en fonction du lien entretenu avec le Big et son niveau de danse. Le Big transmet la danse, la philosophie du Krump, son style de vie et accompagne les Lil dans la vie, comme un mentor. Le principe est de les guider, les élever comme dans les arts martiaux, jusqu’à ce qu’ils soient des égaux et créent leur propre « fam ».
Laure Gayet. Comment le Krump se positionne aujourd’hui par rapport au hip-hop ?
Wrestler. Le Krump tire ses racines du hip-hop, plus précisément du clowning. Certains danseurs du hip-hop estimaient au début que ce n’était pas de la danse. Aujourd’hui, c’est une culture reconnue, un courant à part entière avec sa propre musique, des créations artistiques fortes telles que le spectacle des Indes Galantes présenté à l’Opéra national de Paris, des apparitions dans le film Les Chatouilles d’Andrea Bescond et Eric Métayer, des chorégraphes comme Nach ou Grichka, des danseurs qui accompagnent Madonna ou Beyoncé. C’est une danse présente dans plus 60 pays, organisée autour de grands événements internationaux.
Laure Gayet. Le croisement avec la danse contemporaine comme avec les Indes galantes a t-il fait évoluer le Krump d’un point de vue chorégraphique ?
Wrestler. Non, le Krump a toujours eu sa propre identité et en même temps la capacité d’hybrider les mouvements d’autres danses ; il se nourrit de partout et « de nulle part ». Dans sa conférence dansée « Nulle part est un endroit », la chorégraphe Nach parle de son parcours de femme et de comment le Krump l’a nourrie en tant que danse de réinvention. Le Krump est le miroir urbain de la danse contemporaine.
Laure Gayet. Le breakdance fait maintenant partie des disciplines des JO, qu’en penses-tu ?
Wrestler.C’est toujours un défi d’intégrer à une institution une pratique issue des cultures urbaines. C’est une forme de reconnaissance et ça c’est très positif. Art et sport s’hybrident, ça aussi c’est très positif d’autant que ce sont des danses nées pour ne pas être étiquetées. Il faudra être vigilent à ne pas leur coller une nouvelle étiquette et à prendre les breakers et leur culture comme ils sont, sans chercher à les dénaturer pour les rendre « corporate ».
Laure Gayet. Quelles sont les connexions de ton groupe avec Los Angeles ?
Wrestler. Notre groupe représente la branche France de « Demolition Crew », ce groupe auquel nous sommes liés aux Etats-Unis ; le réseau est assez structuré au niveau mondial. On s’est rencontrés en avril dernier avec ce groupe de Los Angeles et on avait l’impression de se connaître depuis des années ! On prévoit de développer des festivals et des événements en commun.
4-Les Indes Galantes, de Clément Cogitore et Bintou Dembélé, Opéra national de Paris, 2017
Propos recueillis par Laure Gayet.

© Bruno Levy
