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Par Vincent Loubière, Vincent Puig et Théo Sentis.
Acte 2 !
La nature : enjeu premier
Dans un article récent de la revue AOC, le Géographe et Urbaniste Jacque Lévy retrace de manière stimulante la montée d’une « conscience écologique » depuis les années 1960, et la met en regard du nouveau cap qui s’affirme pour l’action politique : la nature « enjeu désormais au sommet de l’arborescence des orientations politiques (…) selon la manière dont les sociétés le traitent et le traiteront, beaucoup des autres enjeux seront profondément affectés »[1]
S’il est désormais coutume d’égrainer les menaces qui pèsent sur la stabilité de nos sociétés comme autant « d’enjeux », il est plus rare de prendre ce terme au pied de la lettre et d’envisager que nos actions puissent relever d’un jeu, aussi risqué soit-il.  
Aussi, derrière l’état de la planète comme enjeu premier, notre rapport à ce que nous avons coutume de désigner comme la “nature “pourrait-il faire l’objet d’un jeu ?
Quelle hérésie !
A première vue, l’état de la planète est tout ce qu’il y a de plus sérieux : elle est affaire de chiffres, de graphiques, de rapports, de scientifiques et de plateaux d’experts. La prise en charge des enjeux écologiques repose désormais sur un plan, lequel se découpe en thématiques, qui elles-mêmes se déclinent en chantiers opérationnels. Confronté à un tel effort d’ingénierie, le sentiment immédiat est de faire volte-face, désabusés que nous sommes, si ce n’est opposés à une injonction à appliquer des « éco-gestes » à l’apparence souvent dérisoire. Comme l’exprimait le slogan de l’Exposition Universelle de Chicago en 1933, dans un contexte pourtant d’abondant productivisme : « La Science trouve, l’Industrie applique, l’Homme s’adapte ». Il ne faut pas s’adapter à ce jeu, il faut l’adopter.

[1] Jacques Lévy, Vers une écologie progressiste, AOC 28 Novembre 2022

© Mary Lou Mauricio

© Mary Lou Mauricio
Passer de l’enjeu à la définition d’un nouveau Jeu
Mais soyons curieux un instant et interrogeons cet apparent état de fait. Quel est-ce jeu qu’il s’agit de jouer avec la nature ? Aujourd’hui un « aplat continu, un décor d’une seule pièce, un fond sur lequel se jouent les tribulations humaines »[1], trop souvent réduite à une idéologie politique, qui comme le fait remarquer M. Lévy traverse désormais l’échiquier politique d’un extrême à l’autre.
Pourtant, il suffit de se laisser guider par sa curiosité et, un genou à terre et la main au sol, ouvrir les yeux et tenter d’analyser ce qu’il s’y passe, pour renouer avec le geste initial du jeu de l’enfant, qui est encore celui de l’écologue.
Au sens premier du terme, être engagé dans une démarche d’observation, d’étude et tenter de comprendre les êtres vivants, les milieux et leurs interactions. Il ne faut alors pas beaucoup de temps pour être saisi par les jeux de [2]contraintes infinies qui animent bactéries, plantes, roches, insectes, animaux, organismes et organisations et d’y voir là quelque chose qui, depuis nos yeux d’humains, ressemble aux principes d’un grand Jeu. Un jeu d’échanges, d’équilibres, de collaborations, d’attaques et de défenses, qui dure depuis quelques milliards d’années, depuis que la vie est apparue sur Terre. Comment se jeu peut-il nous inspirer un rôle tourné autour de la contribution plutôt que de la prédation ?
Accepter ce pas de côté et regarder la nature comme un contexte dans lequel on peut imaginer des jeux nouveaux ouvre à de nombreuses questions vertigineuses : quels peuvent être ces jeux ? Quelles règles peut-on se donner ?

L’objectif : la poursuite du voyage
Dans les années 70, un architecte un peu fou écrivait un livre, devenu depuis l’un des piliers de la systémique et de l’écologie, qui s’intitulait : « Manuel d’instruction pour le Vaisseau Spatial Terre ». Buckminster Fuller nous propose ici de mettre en perspective l’écologie à travers l’espace. L’espace en grand, celui des planètes, du soleil, de la galaxie, de l’univers. Mesdames et messieurs, attachez vos ceintures, nous sommes tous des Thomas Pesquet en puissance, embarqués dans un engin spatial qu’on appelle Terre. Cet engin, suppose un soin, une écologie, un jeu riche d’interactions et d’équilibres offrant aux espèces vivantes, parmi lesquelles les êtres humains, un habitat propice à la vie alors même que nous traversons à chaque instant des milliers de kilomètres dans le vide absolu de l’espace.
Voilà un récit de départ, et il a des accents de science-fiction: pour nous, les êtres vivants, l’enjeu de l’écologie est celui de notre capacité à maintenir le vaisseau en marche pour poursuivre la fabuleuse épopée de la Vie. Cet enjeu est donc collectif, où l’équipe n’est pas celle de France, ni celle de l’humanité, mais bien celle de l’ensemble du vivant, car nous dépendons tous les uns des autres en tant qu’habitants du « Vaisseau Spatial Terre ».  Dans ce jeu, personne ne peut rester sur le banc car chaque action compte. Les abeilles, les chauves-souris ou le plancton à eux seul peuvent tout faire basculer. De même, quelques influenceurs, quelques personnes qui tournent le dos à l’avion et voilà qu’apparait un projet et des milliards pour un avion « Zéro Émissions ».
Oui on peut apprendre et jouer avec la nature, c’est un jeu collectif, celui de la vie, qui peut mobiliser des règles (game) mais aussi des désirs (play), et face à l’enjeu de préservation des équilibres de son écologie chacun de nos gestes compte.

[1] Baptiste Morisot, Manière d’être vivant

© Mary Lou Mauricio

Des règles : revisiter les communs
Selon nous, traduire ce défi collectif sous la forme d’un jeu commun amène à revisiter de façon originale les travaux fondateurs d’Elinor Ostrom.  Partant d’une analyse minutieuse des modes de gestion de ressources communes telles que des pêcheries ou des forêts, elle en tire une théorie des communs qu’elle définit par trois caractéristiques :
• une ressource mise en partage ;
• une communauté d’acteurs ayant des droits d’usages de cette ressource
• une structure de gouvernance qui en assure la préservation et la qualité.
Sur ce dernier point les enseignements d’Ostrom vont plus loin, indiquant que les organisations les plus à même de gérer un commun sont polycentriques, organisées suivant une gouvernance décentralisée qui donne au local un pouvoir d’impulsion dans le mouvement d’ensemble.
Nous avons là les bases pour définir des règles de jeu et des espaces de désir, où le partage, la collaboration et la contribution de chacun participeront à préserver une ressource en commun. Appliqué à notre contexte, il s’agit de ne plus considérer uniquement étangs ou forêts comme ressources partagées, mais bien d’élargir ces ressources aux différentes activités humaines - mobilité, alimentation etc. - et de considérer les acteurs qui y prennent part (consommateurs, intermédiaires, fournisseurs, acteurs publics) comme les maillons d’une même chaine dont il s’agit de retisser les liens pour assurer une durabilité à la ressource. Dès lors, il faudra que ce jeu ne se contente pas de soutenir notre plaisir de jouer mais soit aussi concret, en proposant de manière claire et intelligible des règles de participation et de contribution, c’est-à-dire comme le décrit bien Joëlle Zask, les règles permettant aux différents acteurs de :
• prendre part,
• d’apporter une part
• de bénéficier d’une part de ce jeu commun

Comment jouer ? Une partie qui commencera en 2023
Certes, face à ce défi colossal aux accents de science-fiction, nous n’avons pas d’armure surpuissante, pas de K2000 ou de SuperCopter, mais nous avons pourtant un atout dans la manche, dont le potentiel en termes de production de communs n’est pas utilisé.
Depuis un peu plus de 50 ans maintenant nous avons en effet participé individuellement et globalement à la fabrication et l’entrainement d’un outil fantastique, une innovation idéale pour coordonner des structures polycentriques et distribuées : internet et le numérique. Il est vrai, son développement a progressivement été privatisé par les géants du numérique. Mais gardons bien à l’esprit que les vrais acteurs c’est vous, nous, qui au travers de chacun de nos gestes, de nos mots, de nos usages, avons produit un milieu socio-technique, capable de connecter, coordonner et d’influencer chaque individu de la planète, capable de nous aider à observer et appréhender l’infinie complexité de la planète et de potentiellement nous aider à être de meilleurs alliés pour le développement de la vie.
C’est alors de façon surprenante que cette perspective résonne avec les propos de Jacques Lévy, qui appelle à « Créer les conditions d’un débat orienté vers l’action, pénétré des urgences et ouvert à l’imagination politique : voici sans doute la première tâche d’une écologie progressiste. »
C’est à l’émergence d’un tel débat, à la fois créatif et opérationnel, que nous souhaitons contribuer sur le territoire de la Seine-Saint-Denis dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques. De façon facétieuse on pourrait dire qu’on vous prépare un jeu, pour les Jeux et qui on l’espère donnera sa place à chaque Je pour relever l’enjeu de la Nature.
La Solideo s’est lancée dans une aventure extrêmement innovante pour soutenir la création d’un jeu de territoire qui prendra sa place pendant les JOP et même après, passant des infrastructures physiques aux infrastructures numériques. Ensemble avec Plaine Commune, l’IRI, et Le Phares nous préparons le déploiement du programme Eco-Citoyens, un programme de territoire pour inventer ensemble des règles « alternatives » pour l’équipe Seine-Saint Denis face à l’EnJeu de la Nature. Dans ce jeu que nous amorcerons dès 2023, nous viendrons à la rencontre des habitants, commerçants et professionnels, experts et scientifiques pour réaliser avec vous « La planification écologique du dernier kilomètre », ou comment élaborer une stratégie d’équipe enthousiasmante, où chacun pourra contribuer à « inventer des nouvelles formes de vie ou modus vivendi »[1], collectives et individuelles enrichies par la transformation du territoire local, circulaire et dirigé vers une réconciliation avec le reste du vivant.

[1] Baptiste Morisot, Manière d’être vivant





…Une ressource mise en partage ;


…Une communauté d’acteurs ayant des droits d’usages de cette ressource
 

…Une structure de gouvernance qui en assure la préservation et la qualité.













…Prendre part,

…D’apporter une part

…De bénéficier d’une part de ce jeu commun




















> Arpenter + loin :
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